Le Pays de Nice et ses Peintres au XIXe siècle

Antoine  TRACHEL

(1828-1903)

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Nice, le quai du Midi et le Théâtre italienPêcheurs sur la Promenade des AnglaisLe monastère de Saint-Barthélémy à NiceRuines des thermes romains à CimiezPromenade des orphelins, maison Garin à CimiezL'église de Gairaut, NiceEntrée de la route de France à NiceLe pont Magnan à NiceLa Promenade des Anglais et la Jetée-PromenadeHalte d'alpins dans un village niçoisLavandières au pont Magnan, NiceTendeRoquebillièreLe Vieux-Nice vu des hauteurs de CarabacelLa chute des marguilliers dans le tombeauNem et Lubin devisant entre les murs du Vieux chemin de CimiezNemBoucharla rue du MascoïnatBertin pourchassé par les paysans à travers le Prat CougnetAu Festin de Cimiez, Nem trinque avec LubinBlanchina fesse la Rougiassa sur le Cours SaleyaNem frappant à une porte rue du Vieux-Nice, 1878

Antoine Trachel voit le jour à Nice le 21 mars 1828. Il suit, comme son frère aîné Hercule, les cours de dessin de l’école du chevalier Barberi. À douze ans, son père le place comme apprenti chez le miroitier, doreur et ébéniste Antoine Robiony, au 4 de la rue Saint-François-de-Paule. Il y apprend la sculpture sur bois, la marqueterie et l’art de construire les meubles. Vers sa quinzième année, il part six mois à Gênes où il se familiarise avec le modelage dans un atelier de sculpture. A dix-huit ans, il va travailler à Marseille dans une importante fabrique de meubles. Il projette de partir pour faire fortune aux Amériques, mais la Révolution de 1848, qui contraint l’usine à fermer temporairement, contrarie ses plans. De retour à Nice, il tire un mauvais numéro et doit effectuer quatre ans de service militaire dans l’armée du roi de Piémont-Sardaigne, à Turin.

Fils cadet, comme son jeune frère Dominique, d’une famille modeste, Antoine doit rapidement gagner sa vie et ne peut bénéficier des enseignements d’une académie de peinture. Très adroit de ses mains, il s’établit sculpteur sur bois et construit, tout au long de sa vie, une grande quantité de meubles, coffrets, bas-reliefs, cadres en bois ouvragés. Antoine réalise également de nombreuses terres cuites et poteries émaillées. Sa maîtrise dans les arts décoratifs lui assure une grande réputation locale. Souvent ornés d’un riche bestiaire sculpté, ces objets décoratifs dénotent un grand sens de l’observation chez Antoine Trachel. Selon Fanny Trachel, sa sœur1, il aurait été désigné meilleur ouvrier du comté et envoyé aux frais de Turin à l’Exposition internationale de Londres en 1851. Les riches hivernants raffolent de ce petit mobilier et de ces bibelots qu’ils emportent comme souvenir de leur séjour niçois2. Ils apprécient également les vues pittoresques exécutées par les aquarellistes locaux ou encore la marqueterie niçoise dont la réputation touche l’Europe entière. Auguste Burnel rapporte que le talent d’Antoine est alors fort apprécié : « Il a durant le séjour de l’Impératrice de Russie à Nice, en 1857, exécuté pour S.M. un assez grand nombre de jolis travaux. Il a sculpté, par exemple, une boîte en bois d’olivier sur les quatre faces de laquelle son frère aîné, Hercule Trachel, a peint en miniature quatre vues de Nice qui ont été singulièrement admirées.»3

Touche-à-tout boulimique, il va exercer son talent sur tous les supports, le marbre, l’ardoise, la céramique, le métal et même la neige : « Dans la nuit de vendredi à samedi, il est tombé une grande quantité de neige [...]. Un artiste a eu l’heureuse pensée de signaler son talent en sculptant de la neige un lion aux formes les plus habilement reproduites et un buste colossal et frappant de vérité du poète lauréat de Nice, Joseph Dabray. Un grand concours d’habitants et d’étrangers est allé visiter dans la soirée et au clair de lune ces deux œuvres d’une matière malheureusement trop éphémère.»4
En remerciement, Joseph Dabray compose un poème sur cet événement local et le publie dans L’Avenir de Nice5 :

« A M. Antoine Trachel, sculpteur distingué.

« Quand la neige à Nice inconnue
« Devient partout la bienvenue
« Sur ses bords, toujours verts fleuris
« Où le printemps se perpétue
« Et me vaut une superbe statue
« Cher Trachel, si tous sont surpris
« Par ta main leste, adroite, agile,
« Qui sait donner un nouveau prix
« A la neige la plus fragile
« Et l’animer comme l’argile
« L’aspect d’un pareil monument
« Où dans l’ouvrage d’un moment
« Mieux brille ton art admirable
« Confond l’envie inexorable
« Aussi dans son étonnement
« Elle ose crier vainement
« Qu’il est caduc et peu durable
« Oui, son arrêt trop rigoureux
« Ne peut rien ôter à ta gloire
« Lorsqu’à voir les traits rigoureux
« D’un ciseau sûr de sa victoire
« Les bons Niçois aiment à croire
« Que d’un hiver nouveau pour eux
« Comme de ton génie heureux
« Ils garderont mieux la mémoire.

Joseph Dabray

Une fois établi et reconnu, Hercule aide financièrement ses parents et ses frères qui se sont sacrifiés au profit de l’éducation artistique de leur glorieux aîné. Antoine peut alors, à son tour, suivre des leçons de peinture. Il passe très vite au dessin, à la plume, au lavis et à la gravure. Il va aussi faire le voyage italien. À son retour, il ouvre un atelier de dessin au 1 rue de l’Hôpital, avec son frère Dominique6. Il y donne des leçons à la bonne société des colonies étrangères. Il s’occupe également de l’achat d’œuvres d’art et de leur authentification pour cette riche clientèle7. Ces opérations de courtage lui sont très rémunératrices.

Antoine peint des décors muraux, notamment une scène villageoise pour la villa Gastaud à Fabron8. Comme son aîné Hercule, Antoine réalise surtout d’innombrables croquis, dessins à la plume, lavis et aquarelles du pays niçois qu’il vend aux étrangers et aux amateurs locaux. Alors que chez Hercule, la mise en scène des personnages et du paysage est subordonnée au point de vue choisi, aux références à l’exotisme et à l’Italie, nous trouvons chez Antoine beaucoup plus de simplicité. Le choix des sujets - paysans au jardin, jeune fille à la fontaine, ramassage des filets, étals dans la rue -, l’absence de heurts chromatiques, la prédilection pour les teintes pastels, les perspectives simplifiées par l’absence d’ombres portées et surtout le rendu des personnages, le plus souvent esquissés dans leurs attitudes plutôt gauches, cantonnent parfois son art à l’anecdotique, voire au folklore. D’abord naïves, ses vues s’affinent peu à peu en un style ambitieux et sans complexe qui annonce les aquarelles d’Alexis Mossa. Antoine parcourt le Comté de Nice dans son ensemble, laissant de nombreuses aquarelles des villages, notamment de la Roya. Outre l’intérêt documentaire de ces petits formats en ce qui concerne les costumes, les métiers, l’architecture et le paysage, il se dégage beaucoup de charme de la plupart d’entre eux.

Tous ces traits confèrent souvent une allure humoristique à ces petits formats qui trouvent leur meilleure place dans l’illustration du classique de la littérature dialectale niçoise, La Némaïda de Joseph-Rosalinde Rancher, un poème héroïco-burlesque imité du Lutrin de Boileau9. Antoine illustre plusieurs scènes caractéristiques de l’œuvre, à la sépia, sur quelques exemplaires de l’édition de 1823, dont celle du comte Hilarion Spitalieri de Cessole, ami du poète10. Le message d’Antoine est clair : la vie traditionnelle niçoise subsiste en dépit de l’intrusion du monde moderne dans le pays niçois.

Comme pour son frère Hercule, le succès ne coupe pas Antoine de ses racines niçoises : la peinture des paysages le prouve déjà, mais ce sont également la pratique du nissart, l’amitié avec les écrivains niçois, la participation aux fêtes locales et aux représentations théâtrales qui font des Trachel des animateurs importants et appréciés dans la vie de la cité.

Alors que ses frères Hercule11 et Dominique restent célibataires, Antoine se marie avec Anne-Marie Vérola, dont il a trois enfants12. Ses dons multiples lui permettent d’exercer une intense activité créatrice tout au long de son existence qui s’achève le 8 décembre 1903, dans la maison familiale du 148, rue de France.


Notes
1. Archives municipales de Nice. Fonds Trachel, notes ms de Fanny Trachel.
2. Une lettre de Marie Fox à Antoine Trachel du 4 novembre 1859, depuis Londres, indique l’envoi d’une pièce à sculpter (Arch. privée).
3. Auguste BURNEL, Nice. Caisson impr., Nice, 1862 (3e éd.), p.102.
4. L’Avenir de Nice, 19 février 1853. Voir aussi Burnel, ibid.
5. L’Avenir de Nice, 22 février 1853.
6. Indicateur niçois suivi du Cicerone de l’étranger pour Nice et ses environs. Société typographique, Nice, 1855, p. 107, articles “Sculpteurs sur bois”, “Sculpteurs en plâtre”.
7. Martine TRACHEL, La Vie culturelle, sociale et politique à Nice (1820-1880). D.E.S., Science politique, Faculté de Droit de Nice, 1973, p.99.
8. Cette villa a été détruite et a été remplacée par la villa Les Palmiers, actuellement occupée par les Archives municipales de Nice.
9. Au sujet de J.-R. Rancher, voir le numéro spécial de Nice Historique, 1985 n°3, édité pour le bicentenaire de la naissance du poète.
10. Cet exemplaire est conservé à Nice, bibliothèque de Cessole, II/6. Précisons que les illustrations d’A. Trachel sont des hors-texte postérieurs à l’édition originale de 1823. L’exemplaire cité comporte vingt-et un lavis et une aquarelle dans une reliure signée Chambolle-Duru.
11. Après la mort de son frère aîné, c’est Antoine qui va contacter le sculpteur Augusto Rivalta à Florence afin de négocier avec lui la statue qui orne le tombeau d’Hercule Trachel au cimetière de Cimiez.
12. C’est l’un de ses enfants, Fanny Trachel, qui fonde l’Ecole municipale de dessin de la villa Thiole.

Sylvain AMIC
Jean-Paul POTRON