Le Pays de Nice et ses Peintres au XIXe siècle

Clément  ROASSAL

(1781-1850)

Separateur
Nice, la façade du Théâtre du côté de la merFestin niçois autour de l'arbre du MaiLe pont du VarVilla niçoise au Mont-BoronLe monastère de CimiezLa place Saint-François et l'ancien Hôtel de villeNice, vue des PonchettesNice, vue des PonchettesNice, la place Victor (Garibaldi)Le Château de Saint-André de NiceNice, le festin de Li VernaNice, le festin du RayNice, le festin de Saint-RochHameau à Saint-André-de-NiceGorges de Saint-André-de-NiceCascade de Mouraille, NiceFestin des Cougourdons à CimiezMoulin à Fuont Santa, NiceScène idyllique niçoiseLe chemin des AnglaisLa porte de TurinFestin au Ray

"1814, la Restauration ouvre pour le pays niçois une période de paix. Les Niçois sont de nouveau sous l'autorité de la Maison de Savoie. C'est l'occasion pour eux de manifester envers leur souverains loyalisme et attachement. Les démonstrations de sympathie à l'égard du roi Charles-Félix, « le bon roi Charles-Félix », lors de son séjour à Nice en 1826 en sont le témoignage. « Années de repliement », certes, mais de tranquillité, où les Niçois voient de nombreux hivernants venir apprécier la douceur du climat et le pittoresque des paysages. C'est à eux, « les étrangers », que sont alors dédiés les guides destinés à vanter les beautés du pays mais aussi à leur en faire découvrir l'histoire.

Les années 1830 sont aussi pour les Niçois le moment d'une prise de conscience et l'affirmation d'une identité. Ils portent un regard attentif à leur Comté dont ils s'efforcent d'exalter la mémoire et de souligner les particularismes : ils ont alors, « la sagesse de goûter la douceur de leur pays, le charme de leurs traditions, le pittoresque de leur parler »...1

Nice, en ce début du 19e siècle a son poète en langue nissarde, Rancher, son chroniqueur, Bonifacy, son savant, le naturaliste Risso, son historien, Durante. Ce sont là autant
d'expressions d'un « patriotisme local » qui attestent à la fois l'amour des Niçois pour le Comté et une volonté commune de le faire partager. De cet attachement à Nice témoignent précisément la personnalité et l'œuvre de Clément Roassal : ce notable fera de son passe-temps, la peinture, le reflet de sa sensibilité niçoise.2

Le notable

Clément Honoré Claude Roassal est né à Nice le 10 avril 1781. Dans l'acte de baptême établi par Joseph Sauvaigo, vicaire à la cathédrale, le patronyme mentionné est Roissard. Il sera transformé plus tard en Roassal par le père, Pierre Honoré, soucieux de corriger une erreur ou de manifester une réelle volonté de changement. C'est sous ce nom - également orthographié : Roissal - que nous le retrouverons quelques années plus tard, pendant la Révolution. Pierre Honoré Roassal, qui avait alors la qualité de marchand, prend rapidement parti pour le nouveau régime. Dès l'automne 1792, après l'entrée des Français à Nice, il devient l'ami de Paul Barras, alors en mission dans cette ville, et s'inscrit comme membre de la Société populaire. Il participe à l'administration provisoire avant d'exercer des fonctions judiciaires d'abord au tribunal civil, puis au tribunal révolutionnaire3. Avec la réaction anti-jacobine, le « terroriste » Roassal fait partie des suspects arrêtés. Son caractère autoritaire et son attitude cassante semblent lui avoir valu de profondes inimitiés et ne sont peut-être pas étrangères aux accusations dont il fait l'objet. Son « ennemi », le député conventionnel Joseph Dabray ne manque pas de dénoncer « l'ivrogne Roassal, ancien clerc de procureur, puis marchand de comestibles qui ne possédait pas 15000 francs en principal en 1793 et a aujourd'hui 15000 francs de rentes »4. Pierre-Honoré Roassal - qui mourut à Nice le 16 décembre 1800, pendant l'épidémie de choléra - a laissé, il est vrai, un important patrimoine foncier auquel les acquisitions de biens nationaux ont sans doute contribué. Le cadastre de 1813 atteste que les frères Roassal, ses enfants, sont propriétaires de nombreux biens, maisons et terres, dans plusieurs quartiers de Nice : Saint-Michel, Fuon Cauda, Camp Long, Barri Masson, Caucade.... au total une soixantaine de parcelles5. Si une large partie de ce patrimoine semble avoir été dispersée durant la première moitié du 19e siècle, Clément Roassal, l'un de ses fils, pourra, cependant continuer à vivre de ses revenus : le titre de « propriétaire » qui lui est donné dans les actes en témoigne.

Le 5 septembre 1810 Clément Roassal épouse Marie Madeleine Giletta, veuve en premières noces de Georges Offand, elle-même née à Nice et domiciliée dans le quartier Saint-Pierre d'Arène. La cérémonie religieuse a lieu à la cathédrale de Nice et la bénédiction nuptiale est donnée par le chanoine Sauvaigo. On peut relever que Clément Roassal prend soin de faire mentionner dans l'acte civil de mariage, qu'il avait été inscrit par erreur, lors de sa naissance, sous le nom de Roissard mais que son véritable nom est Roassal. De ce mariage naîtra une fille Emilie ; elle épousera le militaire Nicolas Thiole qui, après avoir été officier de la Grande Armée, poursuivit sa carrière en 1815 au service de la Maison de Savoie et obtint le grade de major-général.

Clément Roassal, à l'opposé de son père, le
« révolutionnaire » acquis aux idées nouvelles, se présente comme un homme de tradition qui fait preuve d'un profond attachement à la Maison de Savoie. Dans son Essai historique sur Nice, réalisé dans les années 1830, il souligne la fidélité et le dévouement de la population de Nice à ses souverains : « Du moment que la ville et le Comté de Nice furent annexés aux États de cette Maison de Savoie, les Niçois vouèrent à leurs nouveaux souverains un attachement qui ne s'est jamais démenti ». Il exprime en particulier sa sympathie pour le roi Charles-Félix, dont il évoque les visites à Nice en 1828 et 1830, et rappelle qu'il a été accueilli avec enthousiasme par les Niçois. À la mort de ce dernier, en 1831, il voit le règne de Charles-Albert, son successeur, « chargé d'espérance pour l'avenir »6.

Par décision royale du 12 décembre 1840, Clément Roassal est nommé conseiller communal. La ville de Nice, avec la Restauration, a retrouvé ses anciennes institutions municipales. Elle est administrée par « trois consuls, assistés d'un conseil de notables choisis dans les trois ordres : la noblesse, la haute bourgeoisie, les artisans et agriculteurs ». Clément Roassal appartient au second qui réunit négociants et marchands, mais aussi les « propriétaires » vivant de leurs revenus. L'Almanach de la Division de Nice de l'année 1845 le mentionne toujours parmi les conseillers. En cette qualité, il fait partie du Conseil de « Ragioneria » et de la Direction du Théâtre ; il a été également désigné comme administrateur de l'Hôpital Saint-Roch et comme membre de la Commission provinciale pour les œuvres pies présidée par l'Évêque. L'exercice de ces fonctions au sein du Conseil communal n'est assurément pas étrangère à l'obtention du titre de « chevalier » de l'Ordre des Saints Maurice et Lazare. En 1845, il est également vice-président du Cercle philharmonique, présidé alors par le Comte Eugène de Cessole7.

Personnalité de la vie niçoise, Roassal est connu aussi pour son amitié avec le naturaliste Antoine Risso, son contemporain (1777-1845), « l'un des plus célèbres enfants de Nice ». Ce dernier a occupé les chaires de chimie médicale et de botanique à l'école de Médecine et de Pharmacie de Nice. Sa notoriété est due surtout à ses travaux d'histoire naturelle, en particulier dans le domaine de l'ichtyologie. Par ailleurs, il est l'auteur d'un Guide du Voyageur (1844) où, à l'exemple de Clément Roassal, il exprime son attachement « au sol qui l'a vu naître »; leur amitié est ancienne et profonde. Une correspondance adressée à Risso, en 1816, évoque leurs « excursions » communes dans le pays niçois pour l'étude de la nature8. On sait que le savant, soucieux d'honorer les personnalités du Comté, n'a pas hésité à donner leurs noms à des poissons nouvellement étudiés. Roassal fait partie de ces hommes que « les talents, le mérite, la gloire ou l'amitié [lui] ont désignés » et son nom- le « lutjan Roissal »- figure aux côtés de la « murène Cassini » et du « céphaloptère Masséna »9. Cet hommage d'amitié est d'autant plus justifié que Clément Roassal aurait dessiné et colorié les figures des planches accompagnant les ouvrages de Risso.

De ces liens d'amitié, les Niçois en étaient les témoins au quotidien : les deux « grands amis ne se quittaient pas ». Aussi, Rancher n'hésite pas dans son poème, la Nemaïda, à les doter ironiquement de surnoms sans nuance et à les présenter comme étant inséparables n'allant jamais l'un sans l'autre. Le poète les mentionne dans sa clef des personnages, rédigée en 1840, en prenant soin, toutefois, de ne les désigner que par leurs seules initiales « parce qu'ils sont en vie et capables de susceptibilité ». Rancher n'en laisse pas moins percer leur identité en indiquant que l'un est « naturaliste » et l'autre « peintre amateur ».10

Nous apprenons ainsi que Clément Roassal peint, et ce renvoi à son passe-temps donne de ce fait un début de notoriété à ce qui sera reconnu plus tard comme une œuvre.

Des références à la peinture sans doute faut-il aussi en trouver la trace dans son testament qui, à lui seul, nous résume l'homme avec ses tristesses, sa piété, sa modestie, ses amis et son patrimoine.

Le 9 janvier 1846 Clément Roassal perd sa fille unique, Émilie Thiole. Elle avait 35 ans. « Ce triste événement, qui [le] plonge dans la douleur pour tout le reste de [sa] vie » mais auquel il doit se « résigner en chrétien », l'amène à prendre de nouvelles dispositions testamentaires. Le 23 juillet, il rédige son testament - en français - et le dépose deux jours plus tard chez le notaire Fighiéra11.

Au milieu du 19e siècle le testament est toujours une expression du sentiment religieux. Celui de Clément Roassal n'échappe pas à l'usage : après une brève invocation par laquelle il supplie « la bienheureuse Vierge Marie d'intercéder auprès de son divin Fils pour, qu'après sa mort son âme puisse jouir du repos des justes », il s'en remet à la tendresse et à la religion des siens « pour les prières à faire dire pour le repos de son âme ». Il exige la simplicité pour ses funérailles, il entend qu'elles « soient faites très modestement car si je ne craignais qu'on n'interprétât mal ma pensée, je voudrais être enterré comme le dernier pauvre de ma paroisse ». Il fait élection de sépulture dans le cimetière de Sainte-Hélène auprès du tombeau de sa mère ou de celui de sa fille qu'il a « si tendrement aimées ».

Clément Roassal lègue l'usufruit de tous ses biens à son épouse « pour dernière preuve de sa constante affection et en récompense de tout le bonheur qu'il lui doit » et institue héritiers ses deux petits-fils Albert et Charles Thiole ; si ces derniers décèdent, avant l'âge de seize ans, il leur substitue ses petites-filles, Marie et Eugènie Thiole.

Plusieurs legs particuliers sont consentis. C'est l'occasion pour Clément Roassal de déplorer « la médiocrité de son patrimoine » et, surtout, de se préoccuper des destinées de ses « tableaux et peintures ». Sa veuve en aura la jouissance sa vie durant ; mais il est précisé que le fils du premier lit, le capitaine Georges Offand, pourra choisir deux de ses tableaux après le décès de sa mère. Enfin, il « prie Mrs l'avocat Branche et Philippe Salvi, de choisir dans [son] salon chacun un de [ses] tableaux qu'ils voudront bien conserver comme un souvenir de l'amitié qui nous lie depuis l'enfance ».
Clément Roassal, décédera le 16 mars 1850 à son domicile de la Place Victor [aujourd'hui Garibaldi], dans la « Maison Roassal », où résidait également son frère Hilarion. L'acte de décès, établi par le curé de la paroisse Saint-Martin, Christophe Bottini, mentionne que le lendemain, 17 mars, il a été inhumé, selon sa volonté, dans le cimetière de Sainte-Hélène12.

Le peintre

S'il est possible d'appréhender l'homme et le notable Clément Roassal, rien ne permet en revanche de savoir si c'est une formation artistique de base ou un simple goût, renforcé de dons naturels pour la peinture, qui l'ont conduit tout au long de sa vie à se servir de son pinceau pour exprimer son amour des traditions et des paysages niçois. Aucune source, publique ou privée, n'atteste en effet sa notoriété dans les années 1830-1850. Seul, laconiquement, le poète Rancher situe le personnage : « Clément Roassal peintre amateur »13.

Amateur, certes Clément Roassal l'était comme en témoigne l'absence de référence faite à son œuvre par ses contemporains, et, aujourd'hui encore, par le « Bénézit » considéré comme la bible des peintres. Amateur ! nous ne retiendrons de ce terme que deux acceptions : l'académique « l'amateur est celui qui cultive son art sans en faire sa profession, sans en retirer un profit pécuniaire » et l'étymologique : « amateur vient de ""amatore"" celui qui aime. » Et Clément Roassal a aimé. Il a aimé passionnément sa fille - à qui il dédie un merveilleux album - et son pays : « Je dédie à Emilie, ma fille bien aimée, ces vues de Nice que j'ai dessinées d'après nature et auxquelles j'ai ajouté quelques notes historiques. En plaçant ton nom à la tête de cet ouvrage j'ai réuni ce que j'aime le plus au monde, ma fille et mon pays.»

L'album, composé de soixante-et-une planches aquarellées sur vélin de format italien, et daté des années 1830, n'a jamais été édité. Par sa volonté de « raconter » Nice, le peintre nous laisse de précieux renseignements sur son époque. Son don d'observation, ses angles de vue sur l'architecture de la ville et sa remarquable description des usages et surtout des costumes - véritables éléments du patrimoine culturel - sont autant de documents précieux et d'hommages rendus à la population niçoise. en mars 1995, l'achat par la ville de Nice de cet album constitue une reconnaissance publique du peintre trop longtemps méconnu14.

Il avait fallu en effet attendre les trois expositions de 1919, 1930 et 193915 pour que Clément Roassal sorte enfin de son anonymat, car de son vivant aucune allusion n'est faite à sa peinture, aucun accrochage de ses œuvres organisé, aucune vente significative réalisée. Peut-être pourrait-on penser qu'au regard de sa peinture l'homme était discret, par tempérament sans doute, par pudeur peut-être. Pourtant, jusqu'à sa mort, il éprouva le besoin et la nécessité intérieure de peindre avec enthousiasme et émerveillement, ce pays niçois qui était le sien.

C'est ainsi que dans son œuvre se retrouveront, comme un leitmotiv, les thèmes conjugués des festins et des paysages niçois, mêlant intensément la quête de la passion et de la présence du pays.

Clément Roassal, peintre des festins

Dans l'ensemble de ses peintures une série se détache comme étant particulièrement significative : celle des festins16.
Les trois huiles sur toile offertes au musée Masséna par Albert Vérani en 1920 et en 1923 : le Festin de Cimiez avec ses éventaires de mets populaires, le Festin de Saint-Roch montrant la bourgeoisie niçoise banquetant pendant la nuit et le Festin de li Verna représentant un quadrille traditionnel de paysans endimanchés dans les bois du Var, sont autant de témoignages émouvants rendus aux coutumes de Nice dans la première moitié du 19e siècle, comme le sont aussi les « Festins » de Saint Barthélémy, du Ray et de Magnan, « retrouvés » chez des particuliers. Ces tableaux exaltent la liesse populaire qui s'emparait des Niçois dans des lieux où ils renouaient avec les plaisirs d'une vie festive, simple et joyeuse, loin des tracas du quotidien.17 « La campagne était à nos portes et c'était à pied que l'on gagnait les sites champêtres où se déroulaient les légendaires festins annuels, depuis celui des cougourdons de Cimiez jusqu'au romérage automnal de ""Li Bouscarla"" au Ray »18. Ces réunions autour de folles farandoles témoignent de l'amour prononcé des Niçois pour la danse dans laquelle les toiles de Clément Roassal nous emportent au rythme de son pinceau. La peinture se fait mouvante, sonore : des jeunes filles font virevolter leurs jupons colorés, des enfants s'essayent aux pas traditionnels, des rondes de femmes et d'hommes en costumes aujourd'hui disparus et minutieusement décrits, se forment autour d'un mât ou sous des tentes souvent négligemment tendues ; on entend les musiciens perchés sur un rocher dominant la foule des danseurs, le violoniste debout lançant ses notes aiguës comme des cris de joie, le tout entraînant le tableau dans une « fureur joyeuse » comme l'écrit Louis Roubaudi en 184319. Musique et danse deviennent symboles de vie et de cohésion sociale. Plantant son chevalet devant ces scènes de fêtes traditionnelles, ou les restituant peut-être après s'en être imprégné, Clément Roassal traduit encore et toujours son attrait pour les traditions qui donne à ses compositions une force et une vitalité qui frappent au premier abord. Il importe donc peu que sa fidélité à ce thème, peut-être un peu trop récurrent, prenne parfois le pas sur les qualités proprement picturales. Ses festins restent à la fois le support d'une passion et le reflet d'une vision, celle de la vie d'un pays que le peintre reproduit sur des toiles auxquelles il donne ainsi leur raison d'être.

Si la peinture se veut anecdotique et si la figuration des acteurs se révèle comme étant un élément vivant et primordial, le décor n'en est pas pour autant exclu de ses tableaux dont le fond reste un paysage réel qui incorpore littéralement les personnages. Les sujets sont toujours encadrés et dominés par la présence d'arbres somptueux et triomphants touchant un ciel dont la luminosité change avec les saisons (festins de mars ou festins d'août). Le peintre, privilégiant la lumière naturelle, répand autour des scènes de fête des halos de douceur qui exaltent la sérénité du moment. Il y a là une évidente compréhension de la grande richesse des nuances que peut offrir le soleil. malgré sa ferveur à rendre toutes les variations de la lumière, Clément Roassal, à l'image des peintres du 19e siècle qui usaient des gris, des bruns ou des terres de sienne, n'a cependant pas hésité à se servir du noir pour restituer un des aspects particuliers des traditions niçoises : celui des festins de nuit. Il n'est qu'à voir le tableau représentant le festin de Saint-Roch, pour lequel le peintre, toujours soucieux de vérité, sacrifie quelque peu la lisibilité de son œuvre à la fidélité de la narration. Ici, c'est autour de mets pris en commun que bourgeois et paysans se retrouvent. La nuit est tombée mais la joie demeure. La fête a effacé pour un moment les différences. Clément Roassal regarde et peint. On serait tenté de dire avec Roubaudi qu'« il y a quelque chose de satanique dans le festin contemplé de nuit, à la lueur de certains fanaux suspendus aux branches des oliviers et des orangers.»20

Grâce à cette peinture narrative, Clément Roassal a réussi à réaliser son désir de fixer à jamais ces instants privilégiés et de laisser des images fortes de ces fêtes qui faisaient l'identité niçoise. Mais en même temps qu'il honorait Nice avec une précision quasi-photographique, son pinceau excellait également à illustrer les beautés du ciel, de la campagne et de la lumière méditerranéenne. De nombreuses œuvres en témoignent.

Clément Roassal paysagiste

Si l'approche de Clément Roassal au travers de son art demeure difficile, il faut se souvenir qu'il est né et a vécu dans une période où le romantisme imprègne l'Europe et où l'influence anglaise se fait sentir sur la peinture française à travers Turner, Constable et Bonington, peintres qui restent fortement associés à leurs contemporains - du grand au petit maître - dans l'histoire du paysage moderne. Au moment où il peint la tendance artistique est à l'idéalisation. L'histoire, la mythologie ou la nature sont autant de prétextes aux peintres de l'époque.

Sensible à cet univers culturel, Clément Roassal nous a laissé des paysages qu'il traite en tant que tels et non, comme il le faisait pour les festins, en fond de toile. Le paysage devient sujet. Il sait en rendre l'atmosphère avec une gamme restreinte de tons et un sens subtil de la lumière que l'on retrouve notamment lorsqu'il peint les sites sauvages qui l'ont impressionné. Sa série de tableaux sur Saint-André est à cet égard significative. « La campagne de Nice, partout cultivée et couverte d'oliviers offrirait, malgré sa beauté, une certaine monotonie si elle n'était coupée par des vallons qui en varient l'aspect, l'un des plus beaux est sans contredit celui de Saint-André. D'énormes rochers, des bois, des précipices, des eaux qui tombent en cascade et s'échappent d'une grotte magnifique forment un ensemble des plus pittoresques»21. Saint-André, qui maintes fois inspira peintres et dessinateurs niçois ou étrangers, surprend par la brutalité de son paysage : la mer est proche et pourtant, brusquement, de ce décor alpin, surgissent des blocs de roche aux couleurs juxtaposées qui inquiètent le visiteur. L'environnement se fait agressif attirant l'artiste ému par sa grandeur, et la palette se teinte de violence et de contrastes : aux rochers abrupts et écrasants s'oppose une ceinture de verdure inondée par la douce lumière du Midi.

Contrairement aux représentations des festins où hommes et femmes se livrent, en premier plan, aux plaisirs d'une vie sans contrainte, celles des campagnes de Clément Roassal marquent une opposition voulue entre l'immensité des sites et les personnages. De petite taille, et parfois disséminés dans le tableau, ils paraissent n'être là que pour donner une dimension à ce spectacle sublime, digne de constituer un tout et non pas un simple support. La nature devient grandiose et devant elle, l'homme, par respect, se fait petit. La Création pourrait avoir inspiré l'approche picturale du personnage religieux que le testament nous avait révélé.

De ses compositions, qui restent classiques, il ressort une affection particulière du peintre pour les jeux de l'eau et de la lumière : là, d'un bouquet d'arbres, semble naître une rivière calme, limpide et presque rectiligne qui va se perdre dans un décor invisible, ailleurs l'eau se fait force et vie sous la forme d'une cascade qui rebondit sur un rocher, et souvent, comme une référence à ce qui faisait la richesse du pays, protecteur, un moulin à huile se découpe dans le fond de la toile, lui qui, tant qu'il tournait, éloignait les Niçois de la misère. Un sentiment d'apaisement, de bonheur et de volupté ressort de ce thème. D'autres scènes pastorales induisent la sérénité : dans leurs costumes chatoyants, toujours très précisément reproduits, les promeneurs, discrètement évoqués, sont arrêtés, presque figés, loin du quotidien ; seuls quelques enfants, par des Clément Roassal paysagiste

Si l'approche de Clément Roassal au travers de son art demeure difficile, il faut se souvenir qu'il est né et a vécu dans une période où le romantisme imprègne l'Europe et où l'influence anglaise se fait sentir sur la peinture française à travers Turner, Constable et Bonington, peintres qui restent fortement associés à leurs contemporains - du grand au petit maître - dans l'histoire du paysage moderne. Au moment où il peint la tendance artistique est à l'idéalisation. L'histoire, la mythologie ou la nature sont autant de prétextes aux peintres de l'époque.
Sensible à cet univers culturel, Clément Roassal nous a laissé des paysages qu'il traite en tant que tels et non, comme il le faisait pour les festins, en fond de toile. Le paysage devient sujet. Il sait en rendre l'atmosphère avec une gamme restreinte de tons et un sens subtil de la lumière que l'on retrouve notamment lorsqu'il peint les sites sauvages qui l'ont impressionné. Sa série de tableaux sur Saint-André est à cet égard significative. « La campagne de Nice, partout cultivée et couverte d'oliviers offrirait, malgré sa beauté, une certaine monotonie si elle n'était coupée par des vallons qui en varient l'aspect, l'un des plus beaux est sans contredit celui de Saint-André. D'énormes rochers, des bois, des précipices, des eaux qui tombent en cascade et s'échappent d'une grotte magnifique forment un ensemble des plus pittoresques»21. Saint-André, qui maintes fois inspira peintres et dessinateurs niçois ou étrangers, surprend par la brutalité de son paysage : la mer est proche et pourtant, brusquement, de ce décor alpin, surgissent des blocs de roche aux couleurs juxtaposées qui inquiètent le visiteur. L'environnement se fait agressif attirant l'artiste ému par sa grandeur, et la palette se teinte de violence et de contrastes : aux rochers abrupts et écrasants s'oppose une ceinture de verdure inondée par la douce lumière du Midi.

Contrairement aux représentations des festins où hommes et femmes se livrent, en premier plan, aux plaisirs d'une vie sans contrainte, celles des campagnes de Clément Roassal marquent une opposition voulue entre l'immensité des sites et les personnages. De petite taille, et parfois disséminés dans le tableau, ils paraissent n'être là que pour donner une dimension à ce spectacle sublime, digne de constituer un tout et non pas un simple support. La nature devient grandiose et devant elle, l'homme, par respect, se fait petit. La Création pourrait avoir inspiré l'approche picturale du personnage religieux que le testament nous avait révélé.

De ses compositions, qui restent classiques, il ressort une affection particulière du peintre pour les jeux de l'eau et de la lumière : là, d'un bouquet d'arbres, semble naître une rivière calme, limpide et presque rectiligne qui va se perdre dans un décor invisible, ailleurs l'eau se fait force et vie sous la forme d'une cascade qui rebondit sur un rocher, et souvent, comme une référence à ce qui faisait la richesse du pays, protecteur, un moulin à huile se découpe dans le fond de la toile, lui qui, tant qu'il tournait, éloignait les Niçois de la misère. Un sentiment d'apaisement, de bonheur et de volupté ressort de ce thème. D'autres scènes pastorales induisent la sérénité : dans leurs costumes chatoyants, toujours très précisément reproduits, les promeneurs, discrètement évoqués, sont arrêtés, presque figés, loin du quotidien ; seuls quelques enfants, par des jeux que l'on devine, échappent à l'inertie ; les adultes semblent parler à mi-voix, les animaux domestiques rassurent : les moutons paissant paisiblement, l'âne attendant, immobile, avec ses paniers sur le dos, la vache couchée s'abritant du soleil, le tout dans un environnement où verdoient de jeunes arbres. Images bibliques qui évoquent la nature protectrice. La ville s'est effacée, la paix vient du ciel et de l'eau. Parfois des roches escarpées veillent, couvertes de « pins, de sapins et de mélèzes »22, superbes de sauvagerie et de luminosité. Comme Clément Roassal le suggère
lui-même, l'homme initié dans l'art du dessin devrait emporter les croquis de ces beaux sites dont le souvenir est encore une jouissance lorsqu'on les a quittés.

Romantiques dans leurs sources picturales et pré-impressionistes dans leurs effets d'atmosphère lumineuse, les paysages de Clément Roassal nous séduisent. Exprimant des émotions fugaces à l'aide de moyens très simples, parfois même simplistes, le peintre excelle à traduire la végétation, la lumière, la vie. Nées d'une palette réchauffée au soleil du Midi, les scènes de campagne semblent baignées par une atmosphère idyllique de plénitude et de paix. Dans une gamme de couleurs intenses mais aussi assourdies Clément Roassal a su faire des arbres, de la terre et de l'eau un écrin accueillant autour de ses personnages, réalisant ainsi cette fusion harmonieuse de l'homme et de la nature si chère au 18e siècle.

Ainsi ont résonné dans toute l'œuvre du peintre niçois, les thèmes conjugués des festins - théâtres de divertissements - et des paysages aux vibrations subtiles, qui ont su mêler intensément la passion du pays et la présence de la nature.

Ces quelques réflexions sur un peintre qui n'a pas voulu se présenter comme tel, et dont les tableaux restent très intimes, n'ont pour souci que d'exprimer une sensation et une conviction éprouvées à leur découverte : avant même de travailler ses sujets, Clément Roassal commençait par les aimer, de cet amour profond que seul pouvait ressentir un Niçois attaché à sa terre et à ses traditions. Par là son œuvre prend, dans sa simplicité, une étrange importance. Fallait-il essayer de le rattacher à une école ? Lui-même ne s'étant jamais exprimé sur ce sujet aurait peut-être pu faire sienne la position que Gustave Courbet avait adoptée, quelques années plus tard, en niant l'enseignement de l'art parce que, disait-il « il ne peut y avoir d'écoles, il n'y a que des peintres.»
Pour transposer Rameau dans son ouvrage, La Vraie musique, nous conclurons sur la certitude que la vraie peinture est en fait le langage du cœur, celui que l'amour fait entendre. Clément Roassal peintre amateur ?"


"Notes
1. Robert LATOUCHE, Histoire de Nice. Ville de Nice, 1951-1961, t.3, p. 122.
2. Les auteurs remercient de leur générosité tous ceux qui ont bien voulu leur faciliter l'accès à des tableaux de Clément Roassal leur appartenant.
3. Joseph COMBET, La Révolution dans le comté de Nice et la principauté de Monaco (1792-1800). Alcan, Paris, 1925. G. BLONDEAU, « Les Tribunaux révolutionnaires dans les Alpes-Maritimes », in Nice Historique, 1939, p. 52 sq.
4. A. DEMOUGEOT, « À propos de Clément Roassal », in L'Éveil du quartier Saint-Étienne, n°79, novembre 1959.
5. Archives municipales de Nice. Cadastre 1813, G.26, 29 et 74.
6. Clément ROASSAL, « Essai historique sur Nice », in Vues de Nice et de ses environs, album, Bibliothèque de Cessole, musée d'Art et Histoire, Nice.
7. Fondé en 1838, le Cercle Philharmonique a tenu une place importante dans la vie niçoise en raison de la personnalité de ses membres et de la qualité des réunions musicales qu'il organisait (voir Ernest HILDESHEIMER, « Le Philharmonique de Nice"", in Nice Historique, 1994, p. 109-113). En 1845, les directeurs en sont l'avocat D. Galli, le marquis de Châteauneuf et H. Defly.
8. Lettre de F.G. Sulzer à A. Risso, du 15 août 1816, publiée dans les Annales du Museum d'Histoire Naturelle de Nice, t.V, 1977, p. 183.
9. Antoine RISSO, Ichtyologie de Nice ou Histoire naturelle des poissons du département des Alpes-Maritimes. Paris, 1810, p. XXII et 276.
10. Clef des personnages de La Nemaïda, publiée par A.L. Sardou dans les Annales de la Société des Lettres, Sciences et Arts des Alpes-Maritimes, 1887, p. 219-223.
11. Archives départementales des Alpes-Maritimes, 3 E 15.
12. Archives historiques du diocèse de Nice, registre des décès de la paroisse Saint-Martin, 1850.
13. A.L. SARDOU, art. cit., p. 220.
14. Dédicace de Clément Rossal à sa fille en tête de l'album précité.
15. Lors de la vente aux enchères du 21 mars 1995, la ville de Nice a fait l'acquisition de l'Album pour la somme de 400 000 francs.
16. C'est seulement avec l'exposition rétrospective Nice à travers les âges organisée par le cercle L'Artistique, en avril-mai 1919, que, pour la première fois deux peintures à l'huile de Clément Roassal sont présentées au public. Il s'agit de deux tableaux prêtés par Albert Vérani : l'un représente Lou Festin de li Verna, l'autre Le Festin du Ray. Vérani fera don au musée Masséna du premier ; en 1923, il offrira au musée un autre tableau : Lou Festin de Saint-Roch. En 1930, l'exposition L'époque romantique à Nice en 1830 au musée Masséna sera l'occasion de réunir les trois œuvres de Clément Roassal ; Le Festin de Cimiez ayant les honneurs de la couverture du catalogue. En 1939, ces œuvres seront de nouveau retenues pour l'exposition consacrée à La Campagne niçoise au 18e et 19e siècle au musée Masséna.
17. « On donne le nom de festin à de grandes réunions des habitants de la ville et de la campagne qui ont lieu, dans les divers quartiers des environs lorsqu'on y célèbre la fête du saint qui est le patron de l'église du quartier ou de celui qui est l'objet d'une dévotion particulière.» J.-R. Rancher, Guide des étrangers à Nice. 1827, p. 127.
18. Joseph SAQUI, La Campagne niçoise, exposition artistique et documentaire. Nice, 1939.
19. Louis ROUBAUDI, Nice et ses environs. Paris, Turin, 1843, p. 341.
20. Louis ROUBAUDI, ibidem, p. 344.
21. Clément ROASSAL, op. cit., « Notes historiques à propos du château de Saint-André.»
22. Joseph-Rosalinde RANCHER, op. cit., p.141."

Colette BONAVIA-PARIENTE
Paul-Louis MALAUSSEN