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Pierre-Paul COMBA (Fils) (1859-1934)
"De tous les artistes niçois, Pierre Comba est certainement celui dont le souvenir perdure le plus longtemps1 mais aussi, paradoxalement, le moins exposé au public malgré une abondante production. Quelle collection de famille constituée à Nice au fil des achats, soit dans les galeries, soit chez les négociants (grands antiquaires ou pittoresques brocanteurs de l’ancien «marché aux puces» du Paillon) ou lors des ventes publiques, ne conserve pas au moins une aquarelle de l’artiste ? Et si le musée de Sydney détient une œuvre, il n’en est pas de même dans les collections publiques françaises, en dehors de la «collection du ministre de la Guerre» conservée au château de Vincennes2 et des œuvres possédées par les musées de Nice.
Pierre-Paul Comba, né à Nice, au quartier des Baumettes, le 1er septembre 18593, porte le même prénom que son père. Ce dernier lui inculque les premiers rudiments de son art et il part dans les années 1880 à Paris où son père avait entretenu de nombreux liens avec les milieux littéraire et artistique. Il entre à l’Ecole des Beaux-Arts et y est admis dans la classe de Jean-Léon Gérôme, grand maître de l’École historique qui restera trente-neuf ans à la tête de son enseignement et formera la plupart des peintres français de la fin du 19e siècle. On ne peut pas dire d’ailleurs que l’œuvre de Comba se ressente de l’influence - que d’aucuns qualifient de «pompier»4 - de son maître, si ce n’est dans le choix de thèmes historiques de certaines de ses œuvres qui sont toutes rattachées à un épisode militaire.
Sa visite de conscription a lieu à Paris et il sert au 92° régiment de ligne5. Son service s’accomplit en Afrique du Nord où il participe à la campagne de Tunisie (1881). Vraisemblablement, sur les premiers conseils de son père qui avait disparu en 1872, il décide de perpétuer la tradition de peintre militaire à laquelle ce dernier l’avait particulièrement initié. Il y est d’ailleurs encouragé par «les peintres militaires» de l’époque : Meissonier et Français6. Entré au Dépôt de la Guerre comme simple soldat7, il devient dessinateur auxiliaire (employé civil) en septembre 1883. Il est titularisé en octobre 1887 comme peintre aquarelliste mais démissionne, pour raisons de santé, en novembre 1888. Pierre Comba est le dernier peintre du Dépôt rémunéré en tant que tel, car, sous la Troisième République, il n’y a plus de peintre officiel de l’armée.
Dans le cadre de son emploi, il réalise en 1886 une huile L’assaut de la ferme du Grand-Bontécourt8, épisode des grandes manœuvres du 5° corps dans la région parisienne, œuvre dans laquelle se juxtaposent les deux éléments indissociables de sa technique : l’unité militaire en action au premier plan et le paysage, au second. Mais sa prédilection va déjà vers l’aquarelle puisque la même année, il utilise cette technique pour des «vues» dont La revue de Longchamp par Boulanger en 1886 et une série d’uniformes de l’armée française (1887-1888). En souvenir de son père, dont il entretient le culte artistique, il expose des études de personnages, ainsi Le Vagabond à Nantes en 18869.
L’année 1888 est une année capitale pour l’artiste : il revient définitivement à Nice où il fonde un foyer10. Or, cette même année voit la création par la loi du 24 décembre des bataillons alpins de chasseurs à pied11. Le contexte est celui d’une grande tension des relations entre la France et l’Italie. Face aux alpini, les troupes françaises de montagne doivent affirmer la présence militaire des Grandes Alpes à la Méditerranée12. Les vallées du Comté (Tinée, Vésubie, Roya) deviennent les terrains privilégiés de manœuvres de troupes que Pierre Comba va inlassablement représenter pendant quelques vingt-six années (jusqu’à la Grande guerre). Certes, les scènes militaires dans le moyen et le haut pays étaient déjà familières à ses contemporains : Emmanuel Costa (sous le pseudonyme de Tacos), Alexis Mossa ou encore Antoine Trachel campaient, au fil de leurs œuvres picturales, des scènes militaires ; mais la plupart du temps, ils peignaient ces soldats d’infanterie au milieu de la foule rurale ou dans un décor urbanisé. La perspective de Comba est toute autre : représenter cette nouvelle unité dans sa vie quotidienne. Et, si quelques années plus tard, les artilleurs auront «leur» Hoffbaueur ou les fusiliers marins leur «Fouqueray»13, on peut affirmer que les chasseurs alpins ont «leur» Comba. Dorénavant, la quasi totalité de la représentation des troupes alpines dans la production officielle, Annuaire militaire, ou la presse, Le Figaro, l’Illustration, lui revient. Le soldat-peintre (ou le peintre-soldat) obtient, en raison de ses états de service, l’autorisation de l’État-major, de suivre, sac et matériel au dos, les manœuvres d’été comme d’hiver dans l’ensemble du massif alpin (Comté de Nice, Dauphiné, Savoie). Il les représente dans les fonds de vallées comme sur les sommets enneigés ; sous l’ardent soleil d’été comme dans le brouillard ; postés en embuscade comme à la halte lors des bivouacs. «Toute son œuvre est un poème de foi en l’honneur du soldat alpin»14. Le public local peut ainsi contempler sa production saisonnière, périodiquement renouvelée, dans deux établissements niçois : la Galerie Delbecchi (devenue Rontani), rue du Palais et la Librairie Lucchesi, sous les arcades de l’Avenue15.
Alors que son contemporain le chevalier Victor de Cessole fait découvrir, par le procédé de la photographie, la réalité des hauts sommets qu’il escalade, Pierre Comba au moyen de touches légères aux tons nuancés, surtout dans les premières années, fait rêver sur la magie de ces mêmes sommets. Armée et montagne deviennent indissociables dans son œuvre qui est un hymne à la nature alpine. Cette passion des cimes s’exerce ainsi au sein de la Société des peintres de montagne où il expose régulièrement de 1907 à 1914. Cette année-là, il présente deux aquarelles Le Mercantour et Massif de la Chartreuse16. Avec la Guerre, Comba reprend du service. Il n’existe plus alors de peintre de l’armée, le ministre accorde quelques autorisations officielles à des peintres qui ont le statut de reporter et peuvent ramener une documentation du théâtre des opérations. C’est ce que fait Comba qui a l’occasion d’ immortaliser un épisode glorieux de ces «Semailles sanglantes»17 pour les «Diables bleus» en Alsace : La prise du Reichakerkopf. Son emblématique Chasseur alpin est reproduit par les éditeurs locaux et nationaux de cartes postales. En 1916, aux côtés des Mossa, Vérany et Costa, il dessine les cartes et vignettes patriotiques de la journée niçoise du 27 février en faveur des œuvres caritatives de guerre. Au lendemain du conflit, il continue d’apporter sa collaboration et même de se dévouer pour les œuvres en réalisant billets de tombola, programmes, souvenirs patriotiques ; il décore aussi des «Foyers du poilu» que municipalités et associations fondent dans de nombreuses localités. Sa mort survenue à Nice en 1934 dans sa villa du fond d’une avenue privée (percée au milieu du boulevard Gambetta et baptisée dès 1921 de son patronyme) met fin à cette longue carrière de peintre militaire mais qui avait bien d’autres facettes. En effet, peintre d’armée, paysagiste, Pierre Comba se révèle également peintre d’histoire et affichiste.
Sous la Troisième République, peinture d’histoire et peinture militaire sont étroitement associées dans un souci d’exaltation des valeurs patriotiques et républicaines18. Au plan pictural, Comba semble être (hormis quelques œuvres d’Emmanuel Costa) le seul représentant de cette École qui contribue à franciser un terroir encore aux prises avec les menées séparatistes. Dans cette «pédagogie», les scènes de la Révolution française dans le Comté ont sa prédilection : qu’il évoque les figures marquantes Le général Rusca, les épisodes célèbres La bataille de Gilette ou les acteurs Volontaires du Var publié dans l’Armanac niçart de 1909.
Un dernier aspect de son œuvre peut être abordé ; il permet de faire la transition entre l’art du 19e siècle, connu d’un public éclairé, et celui du 20e siècle, largement diffusé : dans la lignée d’un Chéret, en qualité d’affichiste, il honore dès les années 1900 de nombreuses commandes publiques et privées. Mais si Chéret, peintre de la joie de vivre, ne puise pas son inspiration dans les paysages locaux, bien au contraire, Pierre Comba évoque, principalement au moyen de gouaches, tant les rives d’azur Paysage de la Côte d’Azur (1913) pour la Fédération des Syndicats d’Initiative, que les montagnes Les Sept Laux (1903) pour le Syndicat d’initiative de Grenoble et du Dauphiné, ou les lacs alpins pour celui d’Annecy19. Il devient un des affichistes attitrés de la Compagnie P.L.M. qui lui commande des représentations de sites de villégiature desservis comme Beaulieu-sur-Mer. Le Comité des Fêtes de la ville de Nice fait appel à lui pour des affiches des fêtes de Carnaval (1922)20. Quant aux milliers de voyageurs qui arrivent par le train à la gare de Nice-Ville, ils découvrent, pendant des décennies (jusqu’aux travaux de modernisation...) dans la salle des renseignements, deux vues Antibes et le lointain des Alpes ; La Tête de chien et le Cap d’Ail, sans pour autant savoir qu’elles étaient signées Pierre Comba. Quant à la Niçoise réalisée avant la guerre pour le Syndicat d’initiative de Nice21 et rééditée pour la première fois en 1927, n’est-il pas symbolique de relever que cette jeune et radieuse Niçoise en capeline, avec une brassée de fleurs, se détachant sur la baie des Anges a personnifié, pour nombre de soldats originaires du Comté, pris dans l’enfer du front et l’horreur des tranchées, la «petite patrie» et l’espoir d’un retour aux temps heureux...22
Certes, l’œuvre de Comba est souvent répétée, voire répétitive, affirment certains, et rarement datée ; combien dénombre-t-on par exemple de vues de l’église de Bendejun à travers les pins ? Les paysages de nos montagnes sont souvent difficilement (et volontairement peut-être peu identifiables : ce qui permettait leur vente à Grenoble ou à Annecy) mais avec cet art du paysage ne demeure-t-il pas intemporel, telles ses montagnes (Le Val de Blore) ou ses marines (Beaulieu, Saint-Jean) ; Comba n’illustre-t-il pas encore le pays de Nice au 19e siècle ?"
Notes
1. Nous songeons ainsi à l’Administration de France Télécommunications qui orna une couverture de son annuaire départemental des abonnés des Alpes-Maritimes de l’aquarelle L’Armée d’Italie défilant à la porte de Turin devant le général Bonaparte dont l’exemplaire appartenant au prince d’Essling figura dans l’exposition “Nice à travers les âges” en 1919. En 1936, l’exposition “Le Paillon” et celle intitulée “Le destin de Nice” présentèrent un exemplaire appartenant également à des collections privées.
2. Renseignements aimablement communiqués par le Service historique de l’Armée de Terre.
3. Archives municipales de Nice, 3 O 12. Baptisé à Sainte-Réparate, son parrain est le prêtre Honoré Vivaudo.
4. Redécouvert par les historiens d’art américains, Gérôme a fait l’objet d’une étude de synthèse de Gérald M. ACKERMAN, auteur également du catalogue raisonné : La vie et l’œuvre de J.L. Gérôme. Courbevoie, ACR, 1992.
5. Archives municipales de Nice, 1 H 341.
6. Pierre BOREL, “La maison d’un artiste”, in L’Eclaireur du soir, 24 janvier 1941.
7. Service historique de l’Armée de Terre, 3 M 308.
8. Seule huile à être exposée, elle est en dépôt au Musée de la Symbolique militaire, pavillon du roi au château de Vincennes.
9. Explication des ouvrages de peinture... des artistes vivants exposés au palais du cours St André, Nantes, 1886, p. 22. Musée d’Orsay, service de la documentation, Pierre Comba, fin XIX-début XX°.
10. Veuf en premières noces de la niçoise Catherine Musso, il épouse la vénitienne Clotilde Perusini. En 1896, naît son fils, au prénom symbolique, Pierre-France, pour lequel il peint un touchant faire-part de naissance (Nice, Bibliothèque de Cessole, 73/III). Ce fils s’enrôlera en 1914 comme engagé volontaire pour cinq ans au 7ème Bataillon de Chasseurs alpins (A.C. Nice, 1 H 100).
11. Cf. Ou Pais’Mentounasc, bulletin de la Société d’Art et d’Histoire du Mentonnais, septembre 1988 et Lou Sourgentin, n°96, mars-avril 1991.
12. Sur cette question, voir les travaux de Michel BOTTIN, “La militarisation de la frontière des Alpes-Maritimes 1878-1889”, in Les Alpes-Maritimes 1860-1914, intégration et particularismes. Nice, Serre, 1988, p. 97 sq., et “L’armée à la Belle Époque dans les Alpes-Maritimes”, in Nice-Historique, 1988, n°4, p. 169 sq.
13. Cf. Paul SENTENAC, “La peinture historique et militaire au XXème siècle”, in Revue historique de l’Armée, 1956, n°3, p. 149 sq.
14. Bibliothèque de Cessole, Nice, 73/III, note de J. SAQUI.
15. Maurice RIVOIRE, “Mort du peintre Pierre Comba”, in L’Eclaireur, 12 août 1934.
16. Anne BUTIN, “Pierre Comba”, in Dictionnaire des peintres en Savoie. Paris, Editions de l’Amateur, 1992, p. 78.
17. Sous-titre de l’article de Paul ISOART, “Nice et la guerre de 1914-1918”, in Nice-Historique, 1988 n°4, p. 135.
18. Léon RENI-MEL, “De la peinture militaire et historique”, in Revue historique de l’Armée, 1955 n°4, p. 139 sq.
19. Renseignements communiqués par Alain Bexon, historien d’art à Annecy.
20. Cf. Charles MARTINI DE CHATEAUNEUF, Affiches d’Azur. Nice, Gilletta, 1992. Il collabore d’ailleurs à un certain nombre de chars.
21. Le Petit Niçois, 5 novembre 1927.
22. Les jeunes conscrits ornaient leur abri de cette effigie. Souvenirs personnels évoqués par J. GIORDAN, “Pèire Comba”, in Lou Caireu Nissart, 1934. Olivier VERNIER |